De Jéricho à Aëra
Sans attendre, la petite troupe traverse le Jourdain et poursuit sa route vers Gérasa, en empruntant la voie des caravanes qui allait d'Égypte en Mésopotamie, en passant par Jérusalem, Jéricho, Gérasa et Damas. Ayant fait une brève halte à Nimrin506, ils repartent en accompagnant la caravane d'un riche marchand, Alexandre Misace. Il a écouté Jésus au Temple, et se montre bienveillant : « C'est bien, je te protégerai et Toi, tu me protégeras. J'ai un chargement de grande valeur »286.1. En fin d'après midi, Alexandre observe : « Il faut arriver au pays avant la nuit, mais beaucoup de ceux qui sont avec Toi paraissent fatigués. C'est une dure étape »286.2 Il y a en effet trente trois kilomètres entre Jéricho et Ramoth, et ils n'attendront leur but qu'à la tombée de la nuit. Le marchand propose que les femmes montent sur les mulets de l'escorte pour terminer l'étape. Chemin faisant, Jésus évangélise Alexandre, et répond aux interrogations de Synthyché qui confronte les croyances de la mythologie grecque avec certains épisodes de la Genèse. « Dans le monde il y a beaucoup de religions. Eh bien, si nous avions ici, en un tableau net, toutes leurs particularités, nous verrions qu'il y a comme un fil d'or perdu dans l'abondante boue, un fil qui a des nœuds où sont renfermées des parcelles de la Vérité vraie507 » « Mais ne venons-nous pas tous d'un même cep ? Tu le dis... »286.7.
Le lendemain, c'est une nouvelle étape fatigante de trente trois kilomètres. « La route est fatigante au-delà du pays et il faut faire vite pour arriver à Gerasa avant la nuit »287.1. précise Alexandre dès le départ. Et il offre à nouveau des montures pour les femmes, qui ainsi se fatigueront moins. En arrivant à Gérasa le jeudi soir, 5 octobre, Alexandre explique : « Les romains en voient l'importance sur cette route qui va de la Mer Rouge, et par conséquent de l'Égypte, par Damas vers la Mer Pontique »287.4. C'est effectivement la fameuse Via Nova qui sera rénovée par Trajan. (Lamer Pontique est le nom utilisé par le géographe Strabon pour désigner la mer Noire). Alexandre annonce qu'il doit rester trois jours à Gérasa508. Jésus lui répond : « J'évangéliserai pendant le sabbat. Je t'aurais quitté si tu ne t'étais pas arrêté car le sabbat est sacré »287.6. Dans cette ville en pleine effervescence, Jésus part de l'esprit d'entreprise des habitants, fiers de leur cité prospère et désireux de l'améliorer, pour prêcher sur le Royaume des Cieux. Et Il rappelle, en cette terre païenne, la clef pour entrer dans ce royaume : la Loi mosaïque. « C'est un ensemble de dix préceptes saints et faciles que l'homme moralement bon, vraiment bon, a conscience qu'il faut observer »288.4. Et Il en énonce les dix articles, qu'Il commente avec simplicité et profondeur, comme seul le Maître peut le faire. Il faut savoir se protéger de toutes les mauvaises passions comme l'homme fort qui garde l'entrée de sa maison509. La foule de Gérasa est pleine d'admiration, et une femme s'écrie : « Bienheureux le sein qui t'a portée et les mamelles que tu as sucées »510. « Bienheureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique »288.6 répond Jésus, puis Il donne ensuite aux apôtres une lumineuse explication de cette sentence lapidaire qui embarrassa quelques exégètes. « Le "que l'âme de Marie soit faite sans faute" c'est un prodige du Créateur. C'est à Lui donc qu'en va la louange. Mais le "qu'il soit fait de moi selon ta parole" c'est un prodige de ma Mère. C'est donc pour cela qu'est grand son mérite »288.6.
jusqu'à aujourd'hui, on trouve dans les différents peuples une certaine perception de cette force cachée qui est présente au cours des choses et aux événements de la vie humaine, parfois même une reconnaissance de la Divinité suprême, ou même d'un Père » (...) « Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté; ils ont une seule origine ».(...) « ces règles et ces doctrines qui ... reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes ».
Durant le sabbat, Alexandre et Synthyché, inquiets, interrogent Jésus sur la possibilité de salut pour les païens. Il leur répond en détails, et résume ensuite sa pensée : « Je dis qu'à l'avenir ceux qui, convaincus d'être dans la Vérité suivront la religion de leurs pères avec justice et sainteté, ne seront pas mal vus par Dieu et punis par Lui »289.7. C'est aussi ce que réaffirma vingt ans plus tard l'Église dans Lumen Gentium511 : « Ceux qui, sans qu'il y ait de leur faute, ignorent l'Évangile du Christ et son Église, mais cherchent pourtant Dieu d'un cœur sincère et s'efforcent, sous l'influence de sa grâce, d'agir de façon à accomplir sa volonté telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, eux aussi peuvent arriver au salut éternel ». Le Catéchisme de L'Église Catholique, le rappelle encore, dans son commentaire sur la célèbre formule des Pères « Hors de l'Église point de salut »512, formule parfois interprétée de façon vraiment trop littérale par certains513.
Au moment où la caravane reprend la route en direction de Bozra, le dimanche matin, plusieurs habitants obtiennent le miracle qu'ils implorent. « Mon homme malade d'ulcères aux yeux, le guérirais-tu ? » « Si vous êtes capables de croire, oui »290.1. Le marchand Alexandre, rêveur, demande un peu plus tard à Jésus : « Pourquoi exiges-tu tant de foi pour faire un miracle ? » « Parce que la foi témoigne de la présence de l'espérance et de l'amour pour Dieu ». « Et pourquoi as-tu voulu d'abord le repentir ? » « Parce que le repentir rend ami de Dieu »290.3. Ce dialogue est très éclairant, car il illustre bien les conditions généralement requises, dans l'œuvre, pour obtenir le miracle.
Après une nouvelle longue marche de trente kilomètres, ils font halte pour la nuit à mi-chemin, au lieu dit « la Fontaine des Chameliers », probablement sur le site de l'actuelle ville jordanienne de Mafraq. Les apôtres, fatigués, commencent à s'interroger sur le but de ce long voyage. C'est le cousin Jacques qui se fait le porte-parole de ses compagnons. « Veux-tu nous dire le vrai but de ce voyage, entre nous, avec les femmes et… avec si peu de fruit par rapport à la fatigue ? »290.7. « Tu le verras en son temps », répond simplement Jésus514. Le lendemain, durant le trajet qui mène à Bozra, Jésus explique l'utilité de la prière dans les heures principales de la journée, d'abord à Margziam seul, puis à ses apôtres. Ils vont demeurer toute la journée de mardi dans Bozra, pour se reposer pendant que le marchand Misace règle ses affaires commerciales. Fara, un hôtelier, indique qu'un disciple, Philippe de Jacob, est venu annoncer le Messie515 : « Il raconte à tout le monde que tu as changé son cœur à la prière de sa mère516 »292.4. Fara les informe aussi de la présence dans les parages de quatre scribes recherchant Jésus. Souvent désormais Jésus devra modifier ses plans pour dérouter les scribes et pharisiens qui vont le traquer sans relâche. « Demain, nous nous séparerons pour quelque temps. Près d'Arbela517 »292.6, dit-Il à Simon Pierre, qu'Il charge d'accompagner les femmes disciples : « Vous irez vers la Mer de Galilée en continuant ensemble jusqu'à Nazareth518 »292.6.
Pour l'heure, en ce mardi 10 octobre, Il va parler aux habitants de Bozra et des alentours qui se pressent dans la cour de l'auberge. Une femme précise : « Moi, je viens le remercier car il m'a fait un grand miracle sans quitter la montagne sur laquelle il parlait »293.1. C'était lors du sermon sur la montagne, en février519. Mais tous n'ont pas ces intentions : deux pharisiens aussi attendent... Jésus commence à parler : « Des gens m'ont cherché qui d'abord ne s'enquéraient pas de Moi. Des gens m'ont trouvé, qui d'abord ne me cherchaient pas520 »293.4. Devant ces pharisiens agressifs, le discours de Jésus emprunte plusieurs autres citations à Isaïe. Il rappelle « les ténèbres dont parle Isaïe : Ils ont des yeux et ils ne voient pas. Ils ont des oreilles et ils n'entendent pas521 »293.5, et tout naturellement Il poursuit : « et pour cela on peut dire que la Lumière a été repoussée par les ténèbres et que le monde n'a pas voulu la connaître522 »293.5.
C'est « au point du jour »293.8 qu'ils reprennent la route, le mercredi, pour une très longue étape de plus de cinquante kilomètres qui nécessite, même avec l'aide des chameaux d'Alexandre Misace, un départ très matinal pour pouvoir être accomplie en une journée. Ces quelques jours passés en présence de Jésus ont entièrement converti Alexandre. Au moment où leurs routes se séparent, il offre discrètement, par l'entremise de Margziam, un véritable trésor de pierres précieuses dans douze paquets... « Pour ton Rational de vrai Pontife et Roi »294.3 a-t-il simplement inscrit sur un parchemin. Maria Valtorta décrit ainsi des topazes, des rubis, des émeraudes, de purs saphirs, des douces améthystes, des béryls, des onyx et des chrysolithes523. Jésus confie ce trésor à Marie Madeleine, Marthe et Jeanne. « Ici nous avons peu d'argent ». « Vous me le ferez trouver à Magdala pour la nouvelle lune »294.4 leur répond Jésus en les quittant. Dans un mois effectivement Marie Madeleine lui remettra l'or récolté par la vente524. A la tombée de la nuit, Jésus entre dans Arbéla, et se rend chez la mère de Philippe, accomplissant ainsi la promesse faite presqu'un an plus tôt à la Belle Eau : « Un jour je passerai dans la région de ton pays et toi, fière de ton garçon, tu viendras à ma rencontre avec lui »122.13. Des pluies abondantes interdisent tout déplacement pendant cinq jours525. C'est donc seulement le mercredi 18 octobre que Jésus atteint enfin Aëra, la ville du disciple Timon et but du second grand voyage apostolique, entrepris depuis Béthanie. Comme le pressentait son frère André, Pierre est déjà arrivé et les attend depuis trois jours. : « De Bethsaïda par Méron, il prendra la route de Damas pendant quelque temps, et puis celle d'Aëra »296.1 avait-il prédit avec justesse à ses compagnons. Le groupe apostolique est à nouveau au complet, mais la présence de Judas n'enchante guère Simon le zélote qui, clairvoyant, a compris le double jeu de leur compagnon et confie son trouble au Seigneur. « Eh bien, que cela reste entre nous deux. N'est-ce pas ? »296.5 lui ordonne Jésus. Le séjour chez Timon est bref. C'est maintenant l'heure du retour dans les campagnes de la Galilée...