L'appel de Matthieu
Le vendredi suivant (le 30 juillet 27) « Jésus, au milieu de son groupe, vient du lac vers la place »97.1. Il s'avance droit vers Matthieu, le fixe un moment dans les yeux, d'un regard pénétrant : « Mathieu, fils d'Alphée, l'heure est sonnée. Viens. Suis-Moi... , j'ai lu dans ton cœur »97.3. La stupeur des disciples les laissent tous muets, et Matthieu n'est certes pas le moins surpris. Au point que Jésus lui réitère par trois fois sa demande. Est-ce pour mieux rendre compte de la surprise causée par ce véritable coup de théâtre que les synoptiques (Mt 9,9-13 ; Mc 2,13-17 ; Lc 5,27-32) l'ont tous placé immédiatement après la guérison du paralytique ? Ou bien est-ce pour suggérer que ce premier miracle dans la synagogue de Capharnaüm fut l'événement déclencheur de la conversion de Matthieu ? On peut du moins le penser, lorsque Matthieu avoue à Jésus : « Combien j'ai pleuré… Combien ces derniers mois… Cela fait presque trois mois que je pleure301… Je ne savais comment faire… je voulais venir… Mais, comment venir vers Toi, Saint, avec mon âme souillée ? »97.4.
Le récit de Maria Valtorta nous aide à mieux comprendre le long cheminement intérieur et gardé secret, qui précéda l'appel soudain et imprévu de Matthieu. Il nous faut revenir plus de trois mois en arrière. Depuis la première intervention de Jésus à la synagogue de Capharnaüm le 13 mars, régulièrement, chaque semaine, un donateur anonyme a fait porter un don généreux à Jésus, par l'intermédiaire du petit Jacques. La curiosité de Pierre fut mise à rude épreuve. Déjà, lors de la guérison de sa belle mère, il avait cherché par plusieurs moyens à en savoir plus, jusqu'à se résoudre à interroger Jésus. « Toi, Maître, tu sais qui est cette personne ? » (...) « Moi, je sais tout, Simon ». « Et nous, nous ne pouvons pas savoir ? » « Tu ne guériras jamais de ton défaut ? » Jésus lui fait ce reproche tout en souriant. Et il ajoute: « Tu le sauras vite. Le mal voudrait rester caché et ne peut toujours y réussir mais pour le bien qui veut rester secret, pour être méritoire, un jour vient où on le découvre, pour la gloire de Dieu dont la nature resplendit en l'un de ses fils. La nature de Dieu : l'amour. Celui-là l'a compris, car il aime son prochain. Va, Jacques. Porte à cette personne ma bénédiction »60.7.
Mais pas un instant le pauvre Pierre ne put soupçonner que « ce voleur, ce publicain, ce pécheur, le scandale de Capharnaüm », ait pu être le mystérieux donateur connu seulement de Dieu et du petit Jacques. C'est donc en fait après une longue conversion secrète, que Jésus l'accueille et s'invite chez lui tout à la fois. « Oh !… mais… mais que vont-ils dire ceux qui te haïssent ? » « Moi, j'écoute ce qu'on dit au Ciel, et là, on dit : "Gloire à Dieu pour un pécheur qui se sauve !", et le Père dit : "Éternellement la Miséricorde se lèvera dans les Cieux et se répandra sur la terre et puisque Je t'aime d'un amour éternel, d'un amour parfait, voici qu'aussi, à ton égard J'use de miséricorde"302. Viens. Et par ma venue, en plus du cœur, que ta maison soit sanctifiée ». « Je l'ai déjà purifiée par l'espérance que j'avais dans l'âme… mais que mon esprit ne pouvait admettre qu'elle fût vraie… Oh ! moi avec tes saints… »97.3.
Et quelle leçon pour le groupe apostolique et pour son futur chef ! « Pierre, tu m'as demandé tant de fois qui était l'inconnu de la bourse apportée par Jacques. Le voici : il est là ». « Qui ? Ce vol… Oh ! pardon, Matthieu ! Mais qui pouvait penser que c'était toi, toi, vraiment qui nous désespérais par ton usure, que tu fusses capable de t'arracher chaque semaine un morceau de ton cœur pour donner cette riche obole ? » « Je le sais. Je vous ai injustement taxés. Mais, voici que je m'agenouille devant vous tous et que je vous dis : ne me chassez pas ! Lui m'a accueilli. Ne soyez pas plus sévères que Lui ». « Pierre, qui a Mathieu à ses pieds, le relève d'un seul coup, rudement, affectueusement : Debout, debout ! Pas à moi, ni aux autres. Ce n'est qu'à Lui qu'il faut demander pardon. Nous… allons, nous sommes tous plus ou moins voleurs comme toi… Oh ! je l'ai dit ! Maudite langue ! Mais moi, je suis fait comme ça : ce que je pense, je le dis, ce que j'ai sur le cœur, je l'ai sur les lèvres. Viens, que nous fassions un pacte d'affectueuse paix »97.4.
Ce passage, comme tant d'autres de l'Évangile tel qu'il m'a été révélé, illustre bien me semble-t-il, à quel point ce texte inspiré, sans rien ajouter à la Révélation, nous aide (entre autres choses) à mieux comprendre comment le Christ a agi pour convertir les âmes. « Différente est la manière d'attirer à la Perfection un juste qui y tend spontanément, de celle qu'il faut employer pour celui qui est croyant mais pécheur, de celle dont il faut user pour un gentil », nous dit justement Jésus dans l'Adieu à l'œuvre652.3.
Une dernière remarque sur ce récit vraiment édifiant. Matthieu, Marc et Luc rapportent cette parole finale de Jésus : « Ce ne sont pas les gens valides qui ont besoin de médecin, mais ceux qui vont mal »303. Maria Valtorta cite des paroles légèrement différentes. Jésus évoque alors les pécheurs : « Je recherche leur âme, je la leur rends, pour que à leur tour, ils me la rapportent comme elle est : malade, blessée, souillée, pour que je la soigne et la purifie. Je suis venu pour cela. Ce sont les pécheurs qui ont besoin du Sauveur et Moi, je viens les sauver »97.7. Mais beaucoup plus tard, durant le séjour à Ephraïm, Il reprendra effectivement cet enseignement, sous une forme plus facilement mémorisable : « Ce sont ceux qui souffrent et sont faibles qui ont besoin d'un médecin et de quelqu'un qui les soutienne »554.4.