La prophétie des soixante dix semaines
Voici peut-être l'un des mystères des Écritures qui a donné lieu aux plus nombreuses études et spéculations. Les lecteurs de l'Évangile tel qu'il m'a été révélé ne seront donc certainement pas surpris de trouver dans cette œuvre de nombreuses allusions à cette célèbre prophétie donnée par Daniel(Dn 9,24-27)239. Plusieurs auteurs du premier siècle l'évoquent d'ailleurs comme un événement en train de s'accomplir, confirmant ainsi l'historicité de l'attente du Messie par Israël, à cette époque240. Puisque les recherches pour décrypter ce texte n'ont guère cessé depuis plus de vingt siècles, cela semble signifier qu'aucune interprétation, jusqu'à nos jours, n'a vraiment paru pleinement convaincante.
Les exégètes s'accordent pour considérer que dans cette prophétie, « un jour est comme un an » : soixante-dix semaines représenteraient donc quatre cent quatre vingt dix ans. Et beaucoup de chercheurs admettent aujourd'hui que le point de départ de la prophétie est la permission donnée à Néhémie par le roi de Perse Artaxerxés de rebâtir la cité de Jérusalem, en l'an 445 av J.-C.(La chronologie grecque, au temps de Jésus, indiquait l'an -455). Si, selon l'exégèse de Robert Newman241 ces semaines de sept années s'entendent comme les « semaines » du cycle sabbatique biblique(1 M 6,49 et 6,53-54), alors la première semaine couvrirait la période -449/-442. Et la soixante-neuvième semaine, celle pendant laquelle Daniel nous dit « un messie sera retranché » correspondrait donc aux années 27 à 34, soit exactement l'époque universellement admise pour y situer la Passion du Christ.
Ce sont là je crois des éléments d'interprétation assez communément acceptés par la chrétienté. Il me paraît présomptueux d'en imaginer d'autres, et je préfère m'en tenir au conseil de Corneille a Lapide, pour qui il était bon de ne pas trop examiner « cette énigme insoluble », « pour ne point y perdre la tête242 ». Mais cela ne doit pas nous empêcher d'examiner ce que nous rapporte à ce sujet Maria Valtorta. En voici donc les principaux éléments, sous forme de synthèse : La première allusion en est donnée dans ce dialogue entre Marie à peine âgée de trois ans, et sa mère : « Combien de temps faut-il encore pour avoir l'Emmanuel ? » « Trente années environ, chérie ». « Que de temps encore ! Et je serai au Temple… Dis-moi : si je priais tant, tant, tant, jour et nuit, nuit et jour et que dans ce but je ne voudrais être que de Dieu, toute la vie, l'Éternel me ferait-Il la grâce de donner avant le Messie à son peuple ? » « Le Prophète a dit : septante semaines. Je crois que la prophétie ne ment pas, mais le Seigneur est si bon ... Je crois que si tu priais, tant, tant, tant, Il t'exaucera »7.3. Plus tard, durant son séjour au Temple, Marie converse avec Anne de Phanuel, et nous donne cette information essentielle : « mon esprit a compris le sens de ses secrètes paroles. Elles seront abrégées, les septante dix semaines à cause des prières des justes. Il sera changé le nombre des années ? Non. La Prophétie ne ment pas. Mais non pas le cours du soleil, mais celui de la lune est la mesure du temps prophétique »10.5. Est-ce la clé tant recherchée de cette énigme ? Prise à la lettre, cette indication conduirait à prendre en compte pour les 70 semaines non plus 490 ans, comme tous l'ont fait jusqu'à présent, mais plutôt 475 ans243. N'est-il pas troublant de remarquer qu'en comptant 475 ans à dater de l'édit d'Artaxerxés en -445, on aboutit à l'an 30, année de la Passion du Christ ?
D'autres éléments sont apportés par la discussion des docteurs du Temple avec le jeune Jésus, en l'an 9 de notre ère : « depuis une dizaine d'années environ, les septante semaines indiquées par la prophétie sont accomplies, à dater du décret de reconstruction du Temple » (...) « Mais le monde était tellement paisible et la Palestine si calme quand expirèrent les septante semaines qu'il fut possible à César d'ordonner un recensement dans ses domaines (...) Comme ce temps était accompli, ainsi va se terminer l'autre intervalle de temps de soixante deux semaines plus une depuis l'achèvement du Temple, pour que le Messie soit consacré ... »41.3. Beaucoup plus loin dans l'œuvre, dans un épisode se situant en l'an 29, Maria Valtorta écrit, parlant de Jésus : « il répète avec plus de puissance les mêmes idées exposées, presque à la même place, vingt ans auparavant. Il parle de la prophétie de Daniel… »486.7. Il y a bien d'autres références à cette mystérieuse prophétie. Jésus y fait à nouveau allusion juste après le Discours des Béatitudes : « Et n'était-il pas tellement sacré au Seigneur le lieu corrompu où vivait esclave le prophète Daniel, sacré par la sainteté de son serviteur qui sanctifiait le lieu au point de mériter les prophéties élevées du Christ et de l'Antéchrist, clefs des temps actuels et des temps derniers ? »173.3. Plus tard, Il rappelle que les temps furent avancés : « Même quand je suis né, j'ai anticipé l'heure par amour pour vous, pour vous donner la paix avant le temps »561.12. Et le soir du mercredi Saint, Il enseigne ses apôtres, à la demande de Pierre : « Viens à part et explique-nous quand se réalisera ta prophétie sur la destruction du Temple. Daniel en parle, mais s'il en était comme lui le dit et comme tu le dis, le Temple n'aurait plus que quelques heures. Mais nous ne voyons pas d'armée ni de préparatifs de guerre. Quand donc cela arrivera-t-il ? Quel en sera le signe ? » (...) « Un signe pour la fin du Temple et pour la fin du Monde. Quand vous verrez l'abomination de la désolation, prédite par Daniel - que celui qui m'écoute comprenne bien et que celui qui lit le prophète sache lire entre les lignes »596.43.
Le lendemain, le Christ donne cette autre explication : « Septante semaines ont été fixées pour ton peuple, pour ta cité sainte afin que soit enlevée la prévarication, que le péché prenne fin, que soit effacée l'iniquité, que vienne l'éternelle justice, que soient accomplies les visions et les prophéties, et que soit oint le Saint des Saints. Après sept plus soixante-deux viendra le Christ. Après soixante-deux, il sera mis à mort. Après une semaine, il confirmera le testament, mais au milieu de la semaine feront défaut les hosties et les sacrifices et ce sera dans le Temple l'abomination de la désolation et elle durera jusqu'à la fin des siècles »598.7. Puis à nouveau aux disciples, sur le chemin d'Emmaüs : « Venu à son temps, je vous rappelle Daniel, il a été immolé à son temps. Et, écoutez et rappelez-vous, au temps prédit après sa mort la ville déicide sera détruite. (...) Rappelez-vous Daniel, ramenez à votre mémoire, mais en l'élevant de la fange à l'azur céleste, toutes les paroles sur la royauté du Saint de Dieu, et comprenez qu'il ne pouvait vous être donné d'autre signe plus juste, plus fort de cette victoire sur la Mort, de cette Résurrection accomplie par Lui-même »325.7.
Et jusqu'à cette ultime réflexion de Gamaliel, au moment du martyre d'Etienne : « Les paroles qu'il a dites alors ont pu être confirmées par des faits arrivés plusieurs années après, à l'époque dite par Daniel (…) Malheureux que je suis de n'avoir pas compris avant ! D'avoir attendu le dernier terrible signe pour croire, pour comprendre ! Malheureux peuple d'Israël qui n'a pas compris alors et ne comprend pas, même maintenant ! La prophétie de Daniel et celle d'autres prophètes et de la Parole de Dieu continuent, et elles s'accompliront pour Israël entêté, aveugle, sourd, injuste, qui continue de persécuter le Messie dans ses serviteurs ! »645.5. Ces textes apportent des indications complètement nouvelles, et mériteront certainement d'être analysés minutieusement par les spécialistes de cette question... Signalons enfin qu'au temps du Christ, le synhédriste Yonathan ben Uziel commenta la Torah et les Prophètes en araméen, mais il omit de le faire pour le texte de Daniel car, selon le Talmud, s'il l'avait interprété, chacun connaîtrait le moment exact de la Rédemption244. Les frères Lehmann245 affirment même « qu'un ange vint l'avertir que la manière dont ce prophète parle de la mort du Messie se rapporte trop clairement à Jésus de Nazareth ».