Le Protévangile

Les trois jours de la Passion de Joseph

7 min

Selon le texte de Maria Valtorta, c'est donc à l'heure du retour à Nazareth, plusieurs mois après l'Annonciation, que Joseph découvrit la grossesse de Marie, en observant qu'à l'évidence elle était enceinte. C'est aussi ce que confirme une vision de Marie d'Agreda : « La Princesse du ciel était dans le cinquième mois de sa grossesse, lorsque son très-chaste époux Joseph commença d'en découvrir des marques165 ».

La Vierge elle-même explique : « Mon Joseph aussi a eu sa Passion. Et elle commença à Jérusalem quand il se rendit compte de mon état, et elle a duré des jours comme pour Jésus et pour moi. Et spirituellement elle ne fut pas moins douloureuse. C'est uniquement par la sainteté de Joseph, mon époux, qu'elle s'est maintenue sous une forme tellement digne et secrète qu'elle est passée peu connue à travers les siècles »25.9. Et la Vierge confie encore à Maria : « Qui pourrait dire avec une exacte vérité la douleur de Joseph, ses pensées, le trouble de ses affections ? »25.9.

Cet épisode dramatique et particulièrement douloureux pour Joseph, est à peine suggéré par Matthieu(Mt 1,18). Il a toujours déconcerté les chrétiens, et suscité de nombreuses interrogations au cours des siècles : Joseph a-t-il vraiment douté de Marie ? Combien de temps a-t-il souffert jusqu'à ce qu'il apprenne que l'enfant venait du Saint-Esprit ? Pourquoi Marie ne lui a-t-elle rien dit ? Pour Justin de Naplouse, Joseph douta effectivement de Marie et il « voulait la renvoyer parce qu'il croyait qu'elle avait conçu d'un homme et qu'elle était adultère166 ». Ce fut aussi l'opinion de bien d'autres Pères, tels saint Jean Chrysostome ou saint Augustin, lequel déclara : « Etranger à cette conception, il en concluait qu'elle était adultère167 ». Pour Corneille a Lapide ou Dom Calmet, Joseph ne douta pas de Marie, mais supposa qu'un individu aurait pu commettre sur elle des actes de violence. D'autres estimèrent plutôt que Joseph fut effrayé par le mystère qu'il pressentait plus ou moins clairement. Ainsi Saint Jérôme, qui vit dans l'attitude de Joseph « un témoignage en faveur de Marie : il savait qu'elle était chaste et il était surpris de ce qui était arrivé, il cachait par son silence, l'événement dont il ignorait le mystère168 ». Eusèbe de Césarée, saint Ephrem, saint Rémi, Bède le Vénérable, Raban Maur ou Gerson(Sermon. II de Nativitate)considérèrent que Joseph, par sa connaissance des prophéties, eut l'intuition du mystère, et se sentit indigne d'y participer. Ce fut aussi l'avis de Saint Bernard : « Joseph voulut rendre à la Vierge sa liberté, non pas parce qu'il la soupçonnait d'adultère, mais parce que, respectant sa sainteté, il craignait d'aller habiter avec elle169 ». C'est aussi ce qui ressort des révélations de sainte Brigitte(Livre VII, chap. 25).

Voyons maintenant comment Maria Valtorta nous rapporte cet épisode si controversé. Arrivés à Nazareth dans la journée du vendredi, Joseph dépose Marie chez elle, et la quitte immédiatement. Quel soulagement pour Marie, quand il revient frapper à sa porte, le samedi matin et la supplie humblement : « Pardon, Marie. J'ai manqué de confiance. Maintenant, je sais. Je suis indigne d'avoir un tel trésor. J'ai manqué de charité. Je t'ai accusée en mon cœur. Je t'ai accusée sans justice puisque je ne t'avais pas demandé de me dire la vérité. J'ai failli envers la Loi de Dieu en ne t'aimant pas comme je me serais aimé… »26.3 (...) « Si j'avais été accusé d'un pareil crime, je me serais défendu. Toi… Je ne t'ai pas permis de te défendre, puisque j'allais prendre une décision sans t'interroger. Je t'ai manqué en t'offensant par un soupçon. Rien qu'un soupçon, c'est une offense, Marie. Qui soupçonne méconnaît. Je ne t'ai pas connue comme je le devais. Mais pour la douleur que j'ai soufferte… trois journées de supplice, pardonne-moi, Marie »26.3 (...) « Pourquoi, Marie, as-tu été humble au point de me cacher à moi, ton époux, ta gloire, et permettre que je te soupçonne ? »26.4.

Plus loin dans l'œuvre, Marie confirme encore : « Même Joseph, qui était juste, m'avait accusée en son cœur »29.8. Commentant l'épreuve vécue par Joseph, la Vierge Marie affirme : « S'il avait été moins saint, Dieu ne lui aurait pas donné la lumière pour le guider en une telle épreuve »25.10. En triomphant saintement de cette épreuve, Joseph apporte le témoignage qu'il a su élever en lui, à un niveau sublime, les trois conditions pour plaire à Dieu :

« Foi. Joseph a cru aveuglément à la parole du messager céleste. Il ne demandait qu'à croire parce qu'il était sincèrement convaincu que Dieu est bon et qu'à lui, qui avait espéré dans le Seigneur, le Seigneur n'aurait pas réservé la douleur d'être trahi, trompé, bafoué par son prochain. Il ne demandait qu'à croire en moi, parce que, honnête comme il l'était, il ne pouvait penser qu'avec douleur que les autres ne le fussent pas. Il vivait la Loi, et la Loi dit : "Aime ton prochain comme toi-même". Nous nous aimons tellement que nous nous croyons parfaits même quand nous ne le sommes pas. Pourquoi alors cesser d'aimer le prochain à la pensée qu'il est imparfait ?

Charité absolue. La charité qui sait pardonner, qui veut pardonner. Pardonner d'avance, en excusant dans son cœur les défauts du prochain. Pardonner tout de suite en accordant toutes les circonstances atténuantes au coupable.

Humilité absolue comme la charité. Savoir reconnaître qu'on a manqué, même par une simple pensée, et ne pas avoir l'orgueil, plus nuisible encore que la faute qui précède, de se refuser à dire : "Je me suis trompé". Dieu excepté, tout le monde se trompe. Quel est celui ou celle qui peut dire : "Je ne me trompe jamais" ? »26.8.

De même Jésus, quand Il évoque sa naissance pour la première fois aux apôtres, répond aux interrogations de Pierre : « Mais le mari ? » demanda Pierre étonné. « Le sceau de Dieu ferma les lèvres de Marie et Joseph ne connut le prodige qu'au moment où, de retour de la maison de Zacharie, son parent, Marie apparut mère aux yeux de son époux ». « Et que fit-il, lui ? ». « Il souffrit… et Marie souffrit… ». « Si c'eût été moi… ». « Joseph était un saint, Simon de Jonas, Dieu sait où il met ses dons… Il souffrit profondément et décida de l'abandonner, prenant sur lui la réputation d'injustice. Mais l'Ange descendit lui dire : "Ne crains pas de prendre Marie pour ton épouse. Car ce qui s'est formé en Elle, c'est le Fils de Dieu et c'est par le travail de Dieu qu'Elle est Mère. Et quand le Fils sera né, tu Lui donneras le nom de Jésus, car c'est Lui le Sauveur" »136.7. Le pape Jean Paul II, méditant sur ce sublime acte de foi, affirma dans l'Exhortation apostolique Redemptoris Custos 1989, § 5 : « Joseph est le premier à participer à la foi de la Mère de Dieu, et ainsi il soutient son épouse dans la foi à l'Annonciation divine ».

Un jour Jésus, recommandant à son cousin Jacques de taire ce qu'il vient d'apprendre, lui fait cette confidence : « Joseph a su se taire sur sa douleur d'époux qui se croyait trahi, et sur le mystère de ma conception virginale et de ma Nature. Imite-le. Cela aussi était un redoutable secret. Et pourtant il devait être gardé, parce que ne pas le garder, par orgueil ou par légèreté, aurait été mettre en danger toute la Rédemption »259.10.

Notes de bas de page

165
Marie d'Agreda, La cité mystique de DieuLivre 4 chap. 1.

166
Justin, Dialogue avec Tryphon, 78,2.

167
Saint Augustin, Sermones ad populum. Classis I. De scripturis.

168
Saint Jérôme, Commentaires sur l'Évangile de Matthieu, In MatthaeumI,19.

169
Saint Bernard, Homélie 2 sur leMissus est. Il précise : « Je n'avance pas ceci comme venant de moi, c'est le sentiment des saints Pères ».

📚 Source : L'énigme Valtorta par Jean-François LavèreTome 1Tome 2